Le berceau de l'industrialisation

Lieu historique national du Canal-de-Lachine

Un changement de cap

Dans la première moitié du XIXe siècle, les activités industrielles canadiennes sont embryonnaires. Jusque-là, le Canada approvisionnait la Grande-Bretagne en matières premières qui lui revenaient sous forme de produits manufacturés. Seuls quelques secteurs d'activité associés aux transports et à la transformation des matières premières affichaient un certain dynamisme : construction navale, forges et fonderies, scieries, élévateurs et meuneries, tanneries, distilleries et brasseries.

L'Union (1840) et la Confédération (1867) vont contribuer à consolider un marché intérieur suffisamment important pour permettre l'émergence d'activités manufacturières. L'expansion de la navigation et le premier boom des chemins de fer vont, quant à eux, encourager le développement de l'industrie lourde et d'une multitude d'entreprises gravitant autour de la construction navale et ferroviaire.


Gravure montrant le canal, une porte d'écluse, et la ville à l'arrière-plan
Vue de Montréal et de l'entrée du canal en 1839
© Archives nationales du Canada / Gravure de J. Duncan / ANC C-13328

Vers 1840, Montréal possède plusieurs atouts pour devenir un centre industriel important. Possédant l'un des principaux ports canadiens, cette ville est aussi le centre financier et commercial du pays. L'achèvement de la voie canalisée jusqu'aux Grands Lacs et le développement du réseau ferroviaire en font le carrefour des voies de transport.

Les débuts de l'industrialisation

Montréal connaît son premier boom industriel à compter de 1848, avec le premier élargissement du canal de Lachine qui rend disponible une nouvelle source d'énergie. Des investisseurs avisés saisissent l'occasion pour démarrer de nouvelles entreprises ou pour augmenter l'échelle de production de leurs établissements, comme dans le cas des meuneries et des fonderies.

Ainsi, l'exploitation du pouvoir hydraulique du bassin n° 2 et du secteur Saint-Gabriel entraîne, en quelques années, des investissements substantiels dans une trentaine d'entreprises dont plusieurs sont complètement nouvelles. En 1879, à la fin de cette première phase d'implantation, l'industrie est devenue une importante composante de l'activité économique de Montréal.

La pleine expansion

Ouvriers (hommes, femmes et enfants) derrière des machines
Employés de la Merchants Manufacturing Co
© Société historique de Saint-Henri / 142-ph-2

De 1880 à 1896, le développement industriel se poursuit, s'accélère même dans certains domaines. D'abord regroupées autour des sites hydrauliques, les industries occupent graduellement l'ensemble des rives du canal, à l'est de l'écluse de Côte-Saint-Paul. Cette expansion, qui dure jusqu'en 1896, découle en bonne partie de la « politique nationale ». C'est à ce moment qu'apparaît la grande industrie textile.

Enfin, de 1896 à 1939, le développement se caractérise par la montée de la grande entreprise. Commence alors l'occupation industrielle progressive du secteur ouest du canal, dans les villes de Saint-Pierre et de LaSalle. Les nouvelles entreprises se spécialisent dans la chimie et la pétrochimie et dans la production de fer et d'acier.

Des années de gloire et de notoriété

Photographie des chantiers, montrant un navire, un bassin et le Mont-royal à l'arrière-plan
L'atelier de marine du Canada, propriété d'Augustin Cantin
© Musée McCord, Montréal / Archives photographiques Notman / MP-0000.138

Des entreprises importantes connaissent leur heure de gloire sur les berges du canal. Dès les débuts, la production des trois meuneries établies autour du bassin n° 2 totalise 65 % de la production de l'Est du Canada, et celle des clouteries voisines, plus de 80 %. Le chantier naval d'Augustin Cantin, dans le secteur Saint-Gabriel, est de loin le plus important de Montréal. La Canada Sugar Company, première raffinerie de sucre canadienne fondée par John Redpath en 1854, occupe une centaine d'ouvriers qui produisent mensuellement 3000 barils de sucre. L'entreprise de Frothingham & Workman de la Côte Saint-Paul se classe parmi les plus grosses usines d'outils de l'époque.

Gravure montrant plusieurs ateliers de production (laminoir, fer, clous, etc.)
La Montreal Rolling Mills
© Archives nationales du Canada / ANC C-117867, vers 1868

Au fil des décennies, des entreprises imposantes par leurs dimensions, leur main-d'oeuvre et leur échelle de production voient le jour. Elles résultent de l'incorporation ou de la fusion de concurrents. Ainsi, la compagnie Ogilvie finit par acheter tous ses compétiteurs et devient le plus important meunier de l'Empire britannique et la plus grosse minoterie privée au monde. La Montreal Rolling Mills, établie en 1868, acquiert une à une toutes les clouteries et autres compagnies spécialisées dans le fer et l'acier. Elle s'unit finalement à quatre autres compagnies canadiennes pour former la Steel Co. of Canada en 1911, appelée familièrement la Stelco.

L'image de marque : diversité et interdépendance

photo montrant le canal, deux bassins, des usines et le sud-ouest de Montréal
Wm. Notman & Son, Vue de Montréal depuis la cheminée de la centrale de la Montreal Street Railway, 1896
© Musée McCord VIEW-2944

Plus de 600 entreprises ont occupé les terrains avoisinant le canal, depuis sa construction jusqu'à nos jours. Ensemble, elles couvrent tous les groupes de production manufacturière. Continuellement, de nouvelles entreprises viennent remplacer les plus désuètes et les moins performantes.

L'interdépendance entre ces entreprises constitue un autre trait dominant de ce corridor. Les chantiers navals et les usines de matériel roulant ferroviaire en sont les éléments moteurs. Une multitude d'entreprises spécialisées dans l'une ou l'autre des étapes de la production (scieries, ébénisteries, entreprises de peinture ou de rembourrage, fonderies, etc.) forment de véritables grappes industrielles.

Un impact qui déborde sur les quartiers voisins

Ces quelques exemples permettent d'entrevoir l'importance du canal de Lachine dans l'histoire montréalaise et canadienne. Berceau de l'industrie canadienne, ce couloir a hébergé quelques-unes des compagnies dominantes de leur époque.


photographie montrant des enfants jouant dans la rue devant une rangée de maisons de bois
Maisons d'ouvriers sur la rue Beaudoin à Saint-Henri
© Archives nationales du Québec, centre de Montréal / Fonds Conrad Poirier, P48, P11908, en août 1945

De plus, l'industrialisation du canal a contribué à façonner les profils social et urbain de la ville. Elle a donné lieu à l'expansion rapide de la force ouvrière. Des milliers de travailleurs attirés par les nouvelles usines se sont installés à proximité de leur lieu de travail, donnant naissance aux quartiers ouvriers du Sud-Ouest de Montréal.

Une vocation toujours d'actualité

gravure promotionnelle superbement ornée montrant la raffinerie, le canal et la ville à l'arrière-plan
La Redpath Sugar Refinery, autrefois la Canada Sugar Refinery Montreal
© Redpath Sugar Museum, Toronto / en 1854

Aujourd'hui, à proximité du canal, on dénombre 40 complexes industriels regroupant plus de 200 bâtiments dont certains, comme ceux de la Redpath Sugar, datent de la deuxième moitié du XIXe siècle. Fait surprenant : les fonctions de plusieurs de ces bâtisses perpétuent leur vocation. En effet, 23 de ces complexes sont toujours en activité, dont 12 dans leur vocation initiale.

Les activités industrielles sont encore très présentes dans la partie ouest du canal. Des complexes industriels imposants occupent d'immenses superficies. De plus, un couloir de transport routier et ferroviaire, comptant parmi les plus développés et les plus achalandés de la région métropolitaine, longe la rive nord du canal sur une grande distance.

photographie montrant les 3 entrées du canal, la ville de Lachine, le canal et le sud-ouest en direction de Montréal
Vue aérienne de la zone de l'écluse de Lachine
© Archives nationales du Canada / PA-30760, vers 1920

En se renouvelant et en se modernisant, l'industrie s'est délestée de ses machines démodées et de ses bâtiments surannés. Mais l'histoire du canal possède encore des milliers de témoins : les hommes, les femmes et les enfants qui y ont travaillé, les nombreuses bâtisses et structures toujours utilisées, les innombrables vestiges enterrés et, enfin, tous ces souvenirs révélés par les photos, les plans, les cartes et les documents anciens.

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