Histoire

Lieu historique national de Port-Royal

Merveilles naturelles et trésors culturels

Au cours de l’été 1605, des explorateurs français construisirent un établissement dans un magnifique bassin situé près de l’actuelle ville d’Annapolis Royal, en Nouvelle Écosse. La terre y était fertile et le milieu naturel environnant riche en poissons et en gibier. Des plus, les Mi’kmaq, dont les ancêtres s’étaient installés dans la région des millénaires auparavant, s’étaient montrés accueillants envers les nouveaux arrivants et leur avaient montré comment survivre dans ce nouvel environnement. Baptisé Port Royal, l’endroit devint le premier établissement européen au nord de la Floride. Même si son existence fut de courte durée – quelques années seulement – cette colonie, et tout ce qu’elle avait accompli, s’avéra un modèle à suivre pour l’exploration future du continent.

« Ce lieu estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions veu. » 

En écrivant ces mots, au début des années 1600, Samuel de Champlain décrivait un territoire composé de collines boisées et de prairies, et un plan d’eau magnifique qui allait s’appeler plus tard le bassin d’Annapolis, du nom de la rivière qui s’y jette, dans le sud ouest de la Nouvelle-Écosse. Entouré d’un milieu naturel abondant en ressources de toutes sortes – poissons, animaux à fourrure, bois, terres cultivables – le lieu fit naître dans les esprits un grand rêve : la création d’un monde meilleur en Acadie.

Tout d’abord, un peu de contexte... 

L’histoire de Port-Royal commence en France, sous le règne du roi Henri IV. En 1603, un noble du nom de Pierre Dugua, sieur de Mons, propose au roi de fonder un établissement dans une région appelée Acadie. L’origine du nom remonte au début du 16e siècle. À l’époque, l’explorateur italien Verrazano avait baptisé Arcadie une partie de la côte de l’actuelle Caroline du Nord. Au fil des cartes successives, ce nom se déplace vers le Nord Est, jusqu’à ce qu’il désigne une région qui englobe le nord de l’actuel État du Maine, le sud du Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse continentale. Il est fort probable qu’à la même époque, le nom Arcadie ait été changé en Acadie, sous l’influence d’un nom mi’kmaq local signifiant « endroit ».

Les premières tentatives de colonisation des Français en Amérique du Nord, au 16e siècle, n’ont pas été concluantes. Le sieur de Mons, homme d’affaires avisé, est résolu à y établir une présence française. Son plan fait appel à des investisseurs privés pour financer la colonie. En retour, ces investisseurs se verront accorder le monopole de la traite des fourrures sur un territoire beaucoup plus vaste situé entre les 40e et 46e parallèles. Après de nombreuses négociations, le roi accorde le monopole au sieur de Mons à condition qu’il fonde une colonie en Acadie et qu’il convertisse les peuples autochtones au christianisme.

Après avoir rassemblé les sommes nécessaires au voyage et à l’acquisition des navires et des vivres, le sieur de Mons part pour le nord est de l’Amérique du Nord, accompagné d’un groupe composé d’ouvriers, de soldats, d’artisans et d’explorateurs, tant protestants que catholiques. Le sieur de Mons, par exemple, est un huguenot, tandis que d’autres, comme Champlain, sont catholiques. Même si cette période de tolérance religieuse n’est que de courte durée, la France d’Henri IV est alors le seul pays qui accorde un statut d’égalité aux deux religions.

Au cours de l’été 1604, le groupe s’établit à Sainte Croix, une petite île située dans la rivière Sainte Croix, entre le Maine (É.-U.) et le Nouveau-Brunswick (Canada) actuels. Après un hiver exceptionnellement rigoureux, livrés à leur sort sur cette île, sans source fiable d’eau ou de bois de chauffage, près de la moitié des 79 colons meurent du scorbut. Au printemps 1605, accompagné du cartographe Samuel de Champlain, de Mons entreprend un voyage vers le Sud, à la recherche d’un lieu plus accueillant.

Après avoir exploré les régions situées plus au Sud et fait face à l’hostilité des peuples autochtones dans les régions de l’actuel Cape Cod et du Maine, les explorateurs remontent vers le Nord, où les Mi’kmaq, dont les ancêtres vivaient déjà dans la région – appelée Mi’kma’ki – des milliers années auparavant, accueillent chaleureusement les nouveaux venus. Les Français leur rendent la politesse et c’est le point de départ d’une amitié et d’une alliance durables. En raison des conditions favorables qu’offre le lieu, les colons s’installent dans une magnifique baie abritée qu’ils ont brièvement visitée en 1604, de l’autre côté de la baie de Fundy. Située au confluent de l’actuelle rivière Annapolis et du bassin qui porte son nom, cette bande de terre, large et abritée, possède un sol fertile et des ressources abondantes. Une longue chaîne de hautes collines l’abrite des redoutables vents du Nord Ouest.

Les colons baptisent leur nouvel établissement Port-Royal. Conformément au régime de gestion de la propriété du sol instauré en Nouvelle France, de Mons accorde à Jean de Biencourt, sieur de Poutrincourt, la seigneurie de Port-Royal.

L’Habitation a été reconstruite partiellement d’après les esquisses de Champlain

L’Habitation a été reconstruite partiellement d’après les esquisses de Champlain.

Dès que le sieur de Mons a installé son groupe, les quelques hommes de l’expédition (il n’y a pas de femmes) se mettent au travail pour reconstruire les bâtiments qu’ils ont rapportés de Sainte Croix. Poussé par la nécessité de négocier avec ses investisseurs et satisfait de voir l’établissement prendre forme rapidement, le sieur de Mons retourne en France, laissant au capitaine François Pont-Gravé, la charge de l’établissement. D’après les esquisses de Champlain, l’Habitation de Port-Royal est un grand rectangle de 18 mètres (60 pieds) de longueur sur 15 mètres (48 pieds) de largeur, ressemblant à un hameau fortifié comme il en existe en France au début des années 1600. Au coin sud ouest du rectangle, les hommes construisent un bastion armé de quatre canons. La structure comprend des logements pour les colons, qui leur sont attribués selon leur rang. Occupant le coin nord de l’Habitation, se trouve une petite maison au toit pentu à pans coupés, où vivent Pont-Gravé et Champlain en 1605-06. Près de cette maison s’étale une rangée de plus petits logements destinés aux officiers. Un prêtre catholique et un pasteur protestant y vivent, ainsi que le chirurgien Deschamps et un charpentier de marine chevronné du nom de Champdoré. Au sud ouest se trouve un dortoir pour les ouvriers spécialisés.

Champlain et Pont-Gravé plantent des jardins sur le flanc sud de l’établissement. Champlain écrit à ce propos « J'y semay quelques graines, qui proffiterent bien. » Il entoure son jardin de « fossez plains d'eau, esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises » Ses serviteurs construisent un petit réservoir pour y conserver des poissons de mer. Malgré le temps plus clément que celui que le groupe a connu à Sainte Croix, environ douze des 45 hommes meurent durant le premier hiver passé à Port-Royal. Parmi eux un mineur, le prêtre catholique et le pasteur protestant; tous sont enterrés au cimetière situé à l’est de l’Habitation.

Le Sieur de Mons demeure en France pour trouver des appuis à la cour et entretenir les relations avec les investisseurs qui ont financé le projet de colonisation de l’Amérique du Nord. Il affecte Pont-Gravé à un poste situé sur la côte atlantique et envoie Jean de Biencourt de Poutrincourt, comme lieutenant gouverneur de Port-Royal. En se rendant à Port-Royal, Poutrincourt pourra visiter les terres qui lui ont été octroyées par de Mons, en quelque sorte son propre domaine au delà des mers. Au cours de l’été 1606, Poutrincourt arrive à Port-Royal avec 50 hommes. Font partie de cette nouvelle expédition, son fils de 14 ans, Charles de Biencourt, ainsi que l’écrivain Marc Lescarbot et l’apothicaire Louis Hébert.

On peut voir une réplique du moulin à grain de Poutrincourt près du lieu où était installé l’original, sur la rivière Lequille

On peut voir une réplique du moulin à grain de Poutrincourt près du lieu où était installé l’original, sur la rivière Lequille

Très ouvert d’esprit, Poutrincourt, qui avait envisagé de fonder une colonie agricole autosuffisante, se met à la tâche. Sous ses ordres, ses ouvriers défrichent de grandes parcelles de terre pour y semer du grain et d’autres cultures en amont de la rivière, près de l’actuel lieu historique national du Fort-Anne. Sur une petite rivière voisine (l’actuelle rivière Allains), Poutrincourt construit un moulin à eau pour moudre le grain.

Alors que la colonie s’épanouit, la musique, les spectacles et les fêtes prennent une place grandissante dans la vie des colons. En novembre 1606, par exemple, Poutrincourt et Champlain reviennent à Port-Royal après une expédition le long des côtes, durant laquelle ils se sont heurtés à l’hostilité des Monomoyick dans la région de Cape Cod. Alors que leur navire en piteux état s’approche des côtes, ils sont accueillis par le pittoresque Lescarbot. Ami de Poutrincourt, Lescarbot a écrit une pièce de théâtre spécialement pour l’occasion. Le Théâtre de Neptune met en scène onze personnages, dont le dieu de la mer, Neptune, des tritons et des sauvages incarnés par des Français. Lescarbot y allie vers classiques, humour et poèmes à la gloire du sieur de Poutrincourt.

Musicien et compositeur de talent, Poutrincourt contribue lui aussi à la vie artistique de la colonie. Il écrit des musiques religieuses et profanes et invite les colons à chanter lors de diverses célébrations. Champlain contribue à son tour à l’aspect festif de la vie dans la colonie en créant une société gastronomique qu’il appelle l’Ordre de Bon Temps.

L'Ordre de bon temps - Saveurs historiques

Herbes du jardin Des olives Des épices Des limons

Interprète répresentant Champlain à la table

Interprète répresentant Champlain à la table

Créé dans le courant de l’hiver 1606-1607, l’Ordre de bon temps permet aux hommes de bien se nourrir et de se divertir pour améliorer leur santé et leur moral durant le long hiver. Même s’il ne dure qu’un seul hiver, la société est une grande réussite. Comme l’a écrit Lescarbot, à intervalles réguliers, le souper est un festin. Pour l’occasion, les membres sont désignés tour à tour « architriclin » ou maître d’hôtel.

« Or avoit-il le soin de faire que nous fussions bien et honorablement traités. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les gourmens de deçà nous disent souvent que nous n'avions point là la ruë aux Ours de Paris [cette rue de Paris, qui existe encore aujourd’hui, était la rue des rôtisseurs ou vendeurs de viandes cuites]) nous y avons fait ordinairement aussi bonne chere que nous sçaurions faire en cette ruë aux Ours et à moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son tour vinst ne fut soigneux d'aller à la chasse, ou à la pécherie, et n'apportast quelque chose de rare, outre ce qui estoit de nôtre ordinaire. Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de chair ou de poissons, et au repas de midi et du soir encor moins: car c'estoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maître-d'hotel (que les Sauvages appellent Atoctegic), ayant fait preparer toutes choses au cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le baton d'office en main, et le colier de l'Ordre au col, qui valoit plus de quatre escus, et tous ceux d'icelui Ordre apres lui, portans chacun son plat. Le méme estoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et au soir, avant rendre graces à Dieu, il resinoit le collier de l'Ordre avec un verre de vin à son successeur en la charge, et buvoient l'un à l'autre. »

Les membres de l’Ordre de bon temps sont selon toute vraisemblance des hommes importants de la colonie. Membertou et Messamouet, les chefs mi’kmaq de la région, sont fréquemment invités. Messamouet avait servi de guide à Champlain lors de ses expéditions autour de la baie de Fundy à la recherche de mines de cuivre. Le chef avait raconté à Champlain que, lorsqu’il était jeune homme, il avait traversé l’Atlantique dans un bateau de pêche basque et s’était rendu en France où il avait demeuré dans la maison du gouverneur de Bayonne. Voici ce qu’écrit Lescarbot à propos des autres invités autochtones :

« En telles actions nous avions toujours vingt ou trente Sauvages hommes, femmes, filles et enfans, qui nous regardoient officier. On leur bailloit du pain gratuitement. »

Au menu

Les gentilshommes sont en mesure de proposer un grand choix de viandes, notamment de la volaille (canards sauvages, oies et perdrix entre autres), de l’orignal, du caribou, du castor, de la loutre, de l’ours, du lapin, du chat sauvage et du raton laveur. À cette époque, en Amérique du Nord, le castor est une viande délicate, aussi prisée que le mouton. Les épices les plus utilisées sont, entre autres, le poivre, la cannelle, le clou de girofle et la muscade. On utilise aussi couramment des herbes aromatiques comme le thym, le cerfeuil, le laurier et la marjolaine. Un plat épicé ou au goût sauvage, selon les critères d’aujourd’hui, aurait paru insipide aux résidents de l’Habitation.

Voici quelques exemples de plats actuels qui auraient pu figurer au menu d’un dîner de l’Ordre de bon temps : potage à la citrouille, anguille à l’étuvée, esturgeon à la Sainte-Menehould, fricassée d’épinards, topinambours en beignets, tarte à la chair de pommes et de poires et tarte de massepain.

Période difficile pour les colons

Les missionnaires jésuites étaient des partenaires financiers de Poutrincourt à son retour à Port Royal, en 1610

Les missionnaires jésuites étaient des partenaires financiers de Poutrincourt à son retour à Port Royal, en 1610

Juste au moment où la colonie semble être en mesure de subvenir à ses besoins, les colons apprennent que le conseil du roi a révoqué le monopole du sieur de Mons. La nouvelle est accablante pour certains colons. Ils ont construit une habitation en un lieu où la terre est fertile et où les récoltes sont abondantes. Pour Champlain, particulièrement, c’est un sérieux revers. À l’automne 1607, les colons partent pour la France, laissant l’Habitation à la charge de Membertou, le sagamo ou grand chef des Mi’kmaq dans la région de Port-Royal. Même si le roi rétablit le monopole du sieur de Mons et si Champdoré, un membre des expéditions précédentes, vient faire la traite avec les Mi’kmaq en 1608, l’établissement français est temporairement abandonné. La même année, Champlain part à la tête d’un groupe de colons français pour remonter le fleuve Saint Laurent, où ils construiront l’Habitation de Québec.

Poutrincourt revient à Port-Royal en 1610, avec un petit groupe dont fait partie son fils Charles de Biencourt, qui a alors 18 ou 19 ans, ainsi que Claude de Saint-Étienne de La Tour, qui lui est lié par mariage, et son jeune fils Charles, qui deviendra un personnage important dans les années qui suivront. Ils sont accueillis chaleureusement par Membertou. Espérant regagner les faveurs du roi et obtenir un appui financier, Poutrincourt persuade Membertou, sa famille et plusieurs de sa communauté de se convertir au catholicisme. Malgré ces efforts, la viabilité de la colonie demeure fragile.

Grâce à l’intérêt qu’ils portent à la création de missions en Acadie et à leur influence à la cour, les Jésuites parviennent à faire partie de la prochaine expédition. De par leurs relations à la cour, ils deviennent les partenaires financiers d’un Poutrincourt méfiant et réticent. L’arrivée à Port-Royal des pères Massé et Biard et leur participation aux affaires locales enveniment les querelles intestines existantes. La colonie finit par perdre ses appuis financiers en raison des conflits qui opposent les Biencourt (Poutrincourt et son fils Charles) et les Jésuites. En mai 1613, un navire de ravitaillement emmène les Jésuites à Penobscot (Maine) où ils fondent un autre établissement qu’ils appelleront Saint Sauveur. En juillet, Samuel Argall, de Virginie, mandaté pour expulser les Français des territoires revendiqués par l’Angleterre, attaque et détruit la colonie.

Les armoiries à l'Habitation

Les armoiries à l'Habitation

À l’automne de la même année, alors que les habitants de Port-Royal se trouvent en amont de la rivière, l’expédition d’Argall se rend à Port-Royal puis pille et brûle l’Habitation. Poutrincourt, qui est alors en France, revient au printemps 1614. Il trouve l’Habitation en ruines et son fils et ses compagnons vivant avec les Mi’kmaq. Découragé, il repart pour la France. Il transmet ses titres de propriété et son rôle de dirigeant en Acadie à son fils, Charles de Biencourt. À l’époque, ses terres comprennent essentiellement la Nouvelle-Écosse continentale, le Nouveau-Brunswick et le littoral du Maine. Charles de Biencourt demeure dans la région avec son cousin et commandant en second, Charles de Saint Étienne de La Tour et quelques hommes. À la mort de Biencourt, en 1623, La Tour prend le commandement de la colonie et poursuit la traite des fourrures dans la région. Il fonde un poste de traite à Cape Sable et, plus tard, un autre sur la rivière Saint Jean. Les établissements de Sainte-Croix, Port-Royal et Québec marquent les débuts de la colonisation du continent par les Français. Les générations suivantes se chargeront d’ancrer la culture française en Amérique du Nord.

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